La grande dictée
Juste avant l’ouverture du Salon, l’Hôtel de Ville se fait le théâtre d’une Grande Dictée.
Et c’est Isabelle Fiemeyer qui a accepté de se prêter à l’exercice. Pour une cinquantaine de férus d’orthographe, elle a concocté un texte épineux mettant en scène Coco Chanel.
L’occasion pour les amoureux de la langue française de tester leurs connaissances, mais aussi d’en apprendre plus sur cette grande dame de la mode française.
–
Le podium des lauréats 2023 :
1. Marie-Paule Delvenne / Gwenaëlle Quemener
2. Constance de Crevoisier
3. Didier Bargain
Le texte de la Grande dictée 2023
Gabrielle « Coco » Chanel l’éternelle.
Malgré les douleurs de l’enfance, la mort de sa mère, l’abandon par son père, l’orphelinat et la pauvreté, Coco Chanel a la prescience d’un destin particulier. Jeune femme, pour exister, se donner un style, elle emprunte hardiment les pièces du vestiaire masculin, les pantalons, chemises, jodhpurs, cravates et autres nœuds papillons. Avec ce geste fondateur elle bouscule les codes et s’empare en partie des prérogatives masculines. Elle crée tout d’abord des chapeaux qui tranchent par leur simplicité à l’heure des surcharges de gaze et de plumes, puis des vêtements souples et fluides, comme cette emblématique marinière à col ouvert en jersey de soie ivoire. Dans les années 10, avec des boutiques à Deauville, Biarritz et rue Cambon à Paris, Coco Chanel est déjà célèbre, jusqu’aux Etats-Unis où l’on salue sa robe-chemise fendue en V.
Elle opère une rupture avec la mode de l’époque, abandonne le corset et les robes qui entravent. En ce sens elle participe pleinement à l’émancipation des femmes. Elle recherche la forme épurée et parfaite, l’adéquation entre le vêtement et le corps. Elle privilégie les matériaux de la légèreté, permettant à la fois confort et élégance : l’organdi, la dentelle et la mousseline, le jersey, les soieries, le satin et le shantung, le taffetas et le crêpe, les sequins et le tulle, les fins lainages et les tweeds moelleux.
Elle croit en un style, une allure, une silhouette à la modernité intemporelle. Son crédo est né : « La mode se démode, le style jamais. » En 1926, elle invente « la petite robe noire », un fourreau en crêpe de Chine à la simplicité radicale, un concept visionnaire. Peu avant, en 1921, elle a l’idée du N°5, un parfum composé, exalté par les aldéhydes, et précieux avec ses quelque quatre-vingts ingrédients, dont la rose de mai et le jasmin de Grasse, un parfum qui renvoie au mystère et à l’abstraction, loin des habituelles senteurs figuratives. Elle en crée de nombreux autres, présentés dans des flacons aux lignes pures. Parfums, accessoires et bijoux couture font partie intégrante de son style, comme ces bijoux d’inspiration byzantine, ces colliers de perles à profusion, ces lourds bracelets manchettes.
La cohérence de son œuvre éclate dans les années 50 avec le fameux tailleur, un ensemble deux-pièces composé d’une veste à deux ou quatre poches et d’une jupe. La veste s’apparente à un cardigan tant elle est souple et réalisée sans entoilage. Les emmanchures sont montées de telle façon qu’elles permettent le mouvement, et le dos est volontairement flottant. Une chaînette dorée est cousue au bas de l’ourlet pour assurer l’aplomb. Simplicité, confort et élégance sont ses mots, des leitmotivs. Coco Chanel elle-même le prouve en effectuant des mouvements de gymnastique en tailleur. Elle invente ensuite les escarpins bicolores qui affinent la silhouette et le sac 2.55, d’après la date de création, d’après ses chiffres fétiches aussi, un sac bandoulière habillé de jersey, doublé de gros-grain, matelassé en losange, avec une chaîne tressée de cuir, glissée dans des œillets.
Depuis toujours elle incarne son propre style, ne porte que ses créations, tel ce tailleur blanc, l’un de ses préférés, en lainage épais et ganse en passementerie noire, et boutons en galalithe noire à motif tête de lion. Elle se réjouit que son style descende dans la rue et se félicite d’être copiée. En suivant son intuition, en créant pour elle-même, elle s’adresse surtout à toutes les femmes. Elle dépasse le domaine de la mode et touche à la modernité, à la liberté.
Coco Chanel a construit un empire à la force du poignet. Elle a rendu son nom glorieux, CHANEL en lettres capitales, de même que le double C de son enfance, à la fois initiales intimes (son père tant aimé l’appelait Coco) et souvenir des entrelacs des vitraux de l’orphelinat de son enfance. Malraux disait que trois noms resteraient du XXe siècle en France : de Gaulle, Picasso et Chanel.
Isabelle Fiemeyer
Texte écrit pour La Grande Dictée.